Pourquoi la communication sur les risques est-elle aussi difficile ?
De nombreux débats publics que nous avons sur les questions scientifiques impliquent la communication sur les risques : les décrivant, les comparant et essayant d'inspirer des actions pour les éviter ou les atténuer.
Pensez simplement au flux continu de nouvelles et de commentaires sur la santé, l'énergie alternative, la sécurité alimentaire et le changement climatique.
Une bonne communication sur les risques indique où nous faisons des choses dangereuses. Cela nous aide à mieux traverser les crises. Cela nous permet également d'anticiper et d'éviter le danger et la destruction.
Mais une mauvaise communication sur les risques provoque le contraire. Elle crée de la confusion, de l'impuissance et, pire encore, nous pousse activement les uns contre les autres, même si cela va à l'encontre de nos intérêts.
Alors, que se passe-t-il vraiment lorsque la communications sur les risques tourne mal ?
Les gens sont juste irrationnels et illogiques
Si vous êtes informé scientifiquement - ou du moins, si vous acceptez les évidences scientifiques - vous pourriez confondre le fait d’être rationnel avec l'utilisation de preuves objectives et fondées sur la science.
Penser rationnellement, c'est fonder votre pensée sur la raison ou la logique. Mais une conclusion logique n’est pas nécessairement vraie. Vous pouvez partir de prémisses erronées, fausses ou non fondées pour arriver à une réponse logique mais scientifiquement non-corroborée.
Par exemple, en Australie, il y a quelques années, il y eu une augmentation du nombre de reportages sur les attaques de requins contre des humains. Cela a conduit à un abattage de requins. La logique derrière cette réaction était quelque chose comme :
- 1. il y a eu plus de rapports d'attaques de requins cette année qu'auparavant ;
- 2. Plus de rapports sur les attaques de requins signifient que les attaques de requins sont plus nombreuses ;
- 3. Des attaques de reuins plus nombreuses signifient que le risque d’attaques de requins est en augmentation ;
- 4. nous devons prendre de nouvelles mesures pour éloigner les requins des endroits où les humains se baignent pour nous protéger de ce risque accru.
Ce raisonnement est tout à fait rationnel, mais il est probable qu'il ait été basé sur des prémisses fausses. Comme ne pas se rendre compte qu'une attaque de requin n'était pas systématiquement liée à une autre (par exemple, certaines se sont produites de part et d'autre du pays). Les gens ont établi des liens entre des événements dont les statistiques ont montré qu’ils étaient aléatoires.
Prouvez-nous qu’il n’y a pas de risque ou nous dirons non
Lorsque les gens sont inquiets - ou activement contre - une proposition risquée, la réaction courante est d'exiger une preuve de sécurité. Mais la sécurité est un terme relatif et le calcul du risque ne fonctionne pas de cette façon.
Demander une preuve de sécurité, c'est exiger une certitude, et une telle demande est scientifiquement impossible. L'incertitude est au cœur de la méthode scientifique. Ou plutôt, on peut dire que la méthode scientifique consiste justement à qualifier et communiquer des degrés d'incertitude.
En réalité, nous vivons dans un monde où nous devons nous entendre sur ce qui constitue un risque acceptable, car nous ne pouvons tout simplement pas fournir de preuve de sécurité. Pour utiliser un exemple que j'ai noté auparavant, nous ne pouvons pas prouver que le jus d'orange est sûr à 100%, mais il reste malgré tout sur les rayons des supermarchés.
Pour vous rassurer, voici une formule qui calmera vos craintes :
Vous avez peut-être vu cette formule de base de calcul du risque :
Le risque = (la probabilité que quelque chose se passe) × (les conséquences de cette chose)
Cette formule fonctionne très bien pour les évaluateurs d'assurance et les gestionnaires de laboratoire, mais elle ne convient plus lorsqu’on l’utilise pour expliquer le risque à une population.
Les réactions les plus communes vis-à-vis de la gravité d’un risque sont plus souvent dictées par la formule (danger) × (indignation), dans laquelle la variable «indignation» est alimentée par des considérations non techniques et d'ordre social.
Fondamentalement, plus nous sommes indignés (horrifiés, effrayés) à l'idée que quelque chose se passe, plus nous sommes susceptibles de le considérer comme inacceptable, peu importe à quel point il est statistiquement improbable.
La question des attaques de requins fournit une bonne illustration de ce raisonnement. Les conséquences d'être attaqué par un requin sont scandaleuses, et cette perspective horrible colore notre capacité à garder en tête la probabilité technique qu’une attaque se produise. La réalité émotionnelle de nos sentiments d'indignation éclipse les calculs de risques techniques et objectifs.
Signifiant = utile
Quiconque a déjà fait des calculs statistiques sait que la notion de signification statistique peut être difficile à appréhender. Par exemple, une étude a examiné les liens potentiels entre la prise d'aspirine tous les jours et la probabilité d'avoir une crise cardiaque.
Parmi les 22 000 personnes incluses dans l'étude, celles qui prenaient de l'aspirine quotidiennement étaient moins susceptibles d'avoir une crise cardiaque que celles qui n'en prenaient pas, et le résultat était statistiquement significatif.
Cela ressemblait à priori à une découverte digne d’être prise en compte, jusqu'à ce qu’on s’aperçoive que la différence dans la probabilité d'avoir une
crise cardiaque entre ceux qui prenaient de l'aspirine tous les jours et ceux qui n’en prenaient pas était inférieure à 1%.
La signification n'est pas toujours significative.
Tout le monde comprend les pourcentages…
Il est facile de comprendre que les statistiques complexes et les formules ne sont pas les meilleurs outils pour communiquer sur les risques auprès du grand public. Mais peut-être des chiffres simples - tels que les pourcentages - pourraient aider à éliminer une partie de la confusion quand on parle de risque ?
Nous voyons des pourcentages partout – depuis les remises dans les magasins aux prévisions météorologiques pour vous indiquer la probabilité qu'il pleuve.
Mais les pourcentages peuvent facilement tromper, ou au moins ralentir les gens.
Prenez cet exemple de décision d'investissement simple. Si on vous donnait le choix entre les trois possibilités suivantes, laquelle choisiriez-vous ?
- 1. avoir votre solde bancaire augmenté de 50% et ensuite réduit de 50% ;
- 2. avoir votre solde bancaire réduit de 50%, puis augmenté de 50% ;
- 3. garder votre solde bancaire tel qu’il est.
Vous avez probablement bien compris le problème et trouvé la bonne réponse. Mais peut-être pas. Ou peut-être que choisir la bonne réponse vous a pris plus de temps que vous ne le pensiez. Pas de panique, la réponse est à la fin de cet article.
J’ai utilisé cet exemple en cours, et même les étudiants universitaires en sciences peuvent se tromper, surtout si on leur demande de prendre une décision rapidement.
Maintenant, imaginez que vous n’ayez à votre disposition que ces pourcentages de base pour prendre une vraie décision de vie ou de mort sous la contrainte.
Juste quelques chiffres simples pourraient être utiles, n'est-ce pas ?
En fait, pas toujours. La recherche sur un phénomène connu sous le nom d'ancrage et d'ajustement montre que la simple présence de nombres peut affecter notre estimation de la probabilité ou la fréquence d’un phénomène.
Dans cette recherche, on a posé aux personnes l'une des deux questions suivantes:
- Combien de maux de tête avez-vous par mois : 0, 1, 2 ?
- Combien de maux de tête avez-vous par mois : 5, 10, 15 ?
Les estimations étaient plus élevées pour les réponses à la deuxième question, simplement parce que les chiffres utilisés dans la question pour obtenir leurs estimations étaient plus élevés.
Au moins les experts eux sont rationnels et se basent sur des preuves scientifiques
Eh bien, pas nécessairement. Il s'avère que les experts peuvent être aussi sensibles aux influences de l'émotion et aux nuances du langage que les simples mortels.
Dans une étude de 1982, devenue un classique, on a demandé aux participants d'imaginer qu'ils avaient un cancer du poumon et on leur a expliqué qu'ils avaient le choix entre deux thérapies : la radiothérapie ou la chirurgie.
Ils ont ensuite été informés, pour les uns (a) que 32% des patients étaient morts un an après la radiothérapie, pour les autres (b) que 68% des patients étaient vivants un an après la radiothérapie. Après cela, ils ont été invités à hypothétiquement choisir une option de traitement.
Environ 44% des personnes qui avaient été informées de la statistique de survie ont choisi le rayonnement, comparativement à seulement 18% de ceux qui avaient été informés de la statistique de la mortalité, même si les pourcentages de survie aux traitement radiologique étaient les mêmes.
Ce qui est le plus intriguant ici, c'est que ces types de résultats étaient similaires même lorsque les participants à la recherche étaient des médecins.
Alors, que pouvons-nous faire ?
À ce stade, les lecteurs qui privilégient la science, qui aiment la raison et qui vénèrent les preuves peuvent se sentir abasourdis, voire un peu effrayés.
Si nous les humains, qui nous laissons guider par nos réactions émotionnelles pour évaluer les risques, pouvons être trompés même par de simples chiffres, et sommes facilement influencés par les bizarreries du langage, quel espoir y-a-t-il de faire de sérieux progrès ?
Tout d'abord, évitez de rejeter les réponses aux risques basées sur l'instinct et sur l'émotion : elles sont utiles.
Si vous surfez et que vous remarquez une grande ombre se cachant sous votre planche, il vaudrait peut-être mieux supposer que c'est un requin et agir
en conséquence.
Oui, c'était probablement l'ombre de votre planche, et oui vous vous sentirez stupide d’avoir avoir hurlé de terreur et vous être réfugié sur le rivage. Mais mieux vaut avoir supposé que c'était un requin et avoir eu tort, que d’avoir supposé que c'était votre ombre et vous être trompé.
Mais les réactions émotionnelles à de grands risques à long terme sont moins utiles. Lors de l'évaluation de ces risques, nous devrions résister à nos réactions instinctives et essayer de ne pas être immédiatement guidé par le sentiment de l’imminence de réalisation de ce risque.
Nous devrions prendre du recul et un moment pour évaluer nos propres réponses et les preuves scientifiques à notre disposition avant de donner une réponse. Il est facile d'oublier que ce ne sont pas seulement nos auditoires, qu'il s'agisse d'amis, de parents, de collègues ou de clients, qui vont réagir aux risques de manière émotionnelle : c'est aussi notre cas.
En prenant un temps de réflexion, nous pouvons essayer de voir comment les distorsions et les pièges de la perception du risque et de la communication peuvent influencer notre propre jugement.
Peut-être avez-vous relié de manière logique des prémisses fausses, ou avez-vous été trop influencé par un mot ou une tournure spécifique ?
Il se pourrait que votre cerveau statistique ait été submergé par l'indignation, ou que vous ayez essayé de traiter certains chiffres un peu trop rapidement.
Tout au moins, abstenez-vous de crier "Tout le monde doit aimer les pommes !" si vous essayez de communiquer avec une salle pleine d'amateurs d'oranges. Braquer d’emblée votre auditoire ou simplement ignorer les opinions opposées sur un risque est probablement le meilleur moyen de détruire tout effort de communication sur les risques - bien avant que ces autres caprices de l'être humain aient même l'occasion de se mêler aux débats.
Réponse : Supposons que votre solde initial soit de 100 $. Les options 1 et 2 vous laissent avec 75 $, l'option 3 vous laisse avec vos 100 $ d’origine. Notez qu'aucune option n’améliore votre position.
Auteur:
Date de Publication: 03 01 2017
Date de Modification: